Un communiqué portant le numéro 098, attribué au Ministère de la Justice de la République Démocratique du Congo (RDC), a fait irruption sur la scène politique dans la soirée de Sam 19 avril 2025. Ce document, signé par le « Cabinet du Ministre d'État, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux », annonce des mesures judiciaires et sécuritaires inédites à l’encontre de l’ancien Président de la République et Sénateur à vie, Joseph Kabila Kabange.
Dès sa publication, le communiqué a soulevé des interrogations sur sa forme. Contrairement à un autre communiqué émis le lendemain par le Ministère de l’Intérieur, dûment signé par le Vice-Premier Ministre avec indication de son nom et de sa qualité, celui du Ministère de la Justice se contente d’une simple signature, sans identification du signataire.
Le fond du communiqué est encore plus explosif. Trois annonces majeures y sont formulées :
L’injonction d’engager des poursuites judiciaires contre Joseph Kabila Kabange, accusé d’avoir participé directement à l’agression armée du Rwanda à travers le mouvement rebelle AFC/M23, qualifié de terroriste.
La réquisition de saisie de tous ses biens mobiliers et immobiliers, pour les mêmes motifs.
La restriction de mouvement imposée à ses collaborateurs,
supposément impliqués, bien que le communiqué reste flou sur l’identité de ces derniers.
Sur le plan juridique, le communiqué suscite de nombreuses réserves. L’article 70 de la Loi organique sur l’organisation des juridictions judiciaires confère bien au Ministre de la Justice le pouvoir d’injonction au Parquet, tout comme l’article 300 du Code judiciaire militaire l’autorise à agir auprès des juridictions militaires. Mais ce pouvoir est strictement limité à l’engagement des poursuites, sans interférence dans la conduite de l'action publique.
La double saisine du Procureur général près la Cour de cassation et de l’Auditeur général des FARDC par le ministre laisse perplexe. Cela semble refléter une incertitude quant à la nature civile ou militaire des infractions reprochées. Or, en matière de trahison liée à une agression armée, les juridictions militaires sont les seules compétentes, rendant superflu le recours au Parquet civil.
Concernant la saisie des biens, aucun texte légal n’autorise le Ministre de la Justice à l’ordonner. Il s’agit d’une mesure d’instruction, qui relève exclusivement du pouvoir judiciaire. Cette tentative constitue donc une intrusion manifeste dans le domaine réservé du parquet ou des juges d’instruction.
Au-delà du droit, ce communiqué intervient dans un contexte particulièrement tendu. L’ancien Président Joseph Kabila aurait été aperçu à Goma le 18 avril 2025, une présence interprétée comme un indice de son implication dans la rébellion. Mais cette annonce tombe au moment même où la RDC s’est engagée dans des pourparlers directs avec les cadres de l’AFC/M23, dans le cadre des négociations de paix prévues à Doha, au Qatar.
La demande de levée des sanctions contre les dirigeants de l’AFC/M23 étant l’un des préalables des discussions, ces nouvelles mesures à l’encontre de Kabila pourraient torpiller la dynamique de paix, déjà fragile.
Entre irrégularités de forme, incertitudes juridiques et calculs politiques, le communiqué n°098 du Ministère de la Justice apparaît comme un acte à la fois audacieux et risqué. Son impact sur la stabilité institutionnelle et le processus de paix en cours mérite une attention particulière, alors que le pays s’efforce de tourner la page de décennies de conflits armés et de divisions politiques.
Rédaction